jeudi 20 mai 2010

Le jour où j'ai renié Benjamin

Imaginez-vous un instant dans un avion qui, subitement, se met à plonger vers le sol. Un crash inévitable va se produire. Il ne vous reste que quelques minutes avant que l'aéroplane se pulvérise au sol et que votre pauvre petite existence se termine dans une grande explosion. Comment comblez-vous le temps qu'il vous reste ? Pensez -vous à ceux que vous aimez maintenant et qui vous pleureront après ? Essayez-vous de saisir même pour une petite poignée de secondes, ce que l'humanité a toujours voulu connaître, à savoir le sens de la vie ? Ou serez-vous résignés, en vous disant : "Life sucks and then you die" ?

Le cas d'école est morbide. Evidemment. Mais c'est, paraît-il, une variation sur ce thème qui a servi à Walter Benjamin pour développer un de ses raisonnements les plus intéressants. Plutôt que d'imaginer ce qu'il ferait en ces instants, il avait décidé de concevoir ce qu'il ne voulait pas subir lors de ses dernières minutes. Et la réponse avait été claire : tomber sur un voisin un peu trop communicatif qui profiterait de ces derniers instants pour montrer, à la cantonnade et la larme à l'oeil, l'intégrale de ses photos de famille.

L'idée derrière cette anecdote est, évidemment, de faire sentir que la photographie est à la fois un art, avec toute sa noblesse, mais aussi une chose triviale, une activité banale qui n'est là que pour graver des souvenirs dans la mémoire de ceux qui aiment ce genre de béquille visuelle.

Dans cette étrange dualité de la photographie, j'étais jusqu'à présent persuadé d'avoir trouvé mon camp. Le mur de mon salon est orné d'une photo d'un bébé que je connais même pas, comme le disait Joey Tribbiani - si ça peut vous rassurer ce n'est pas une photo d'Ann Geddes, mais la pochette d'un maxi de Technasia. J'avais, pour faire court, décidé qu'être un spectateur averti valait mieux que d'être un acteur médiocre.

Mais c'était avant que je découvre ce petit bijou qu'est Akward Family Photos, un site américain qui recense les plus incongrues photos de famille possibles. La superposition de tous ces clichés d'un ridicule consommé a, finalement quelque chose d'assez artistique.

Certes, telle pose élégante dans un costume d'un goût irréprochable est drôle, tel brushing est littéralement surréaliste. Il y a même vraiment des juxtapositions des contraires hilarantes; Mais derrière l'amoncellement de toutes ces photos, il y a peut-être autre chose qui transparaît et qui va au-delà du rire nerveux : il y a aussi finalement un petit peu de notre histoire. Un petit bout notre enfance et de cette naïveté d'alors qui nous fait voir la vie en rose alors qu'elle ne l'est pas toujours, un fragment de nos passés communs à tous, parce qu'il faut bien avouer que, oui, des clichés comme ceux là, on en a tous dans nos placards.

Parce que la vie ne ressemble pas toujours à un roman photo et qu'à trop vouloir lui donner cet aspect, elle ne conservera, une fois l'époque passée, que le caractère kitsch du modèle qu'on avait voulu se fixer.

Pour finir avec ces anecdotes du quotidien qui rajoutent aussi du piment à la vie, je joins une de mes photos préférées du site (empruntée là) :

C'est si mignon deux êtres qui s'aiment, non ?

1 commentaire:

  1. Je suis foudroyée à jamais par le regard de tous ces animaux martyrisés : de la panthère synthétique à la moumoute de la mamie... et plus encore ! Merci, le sourire est content.

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